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CRUE
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8 novembre 2016

Nina Simone, les stars et l'art

On venait de voir ce documentaire sur la vie de Nina Simone, un peu clouées, beaucoup inspirées. On en était à démêler ce qu'on y avait trouvé, ce qui nous avait touchées. Ce qui nous a choqué c'est la souffrance, la solitude de sa vie. Et le choix d'interviewer ce type qui a été son mari, qui l`a frappée, violée et abusée. Avec ses commentaires inutiles. On avait envie de dire "casse-toi" ou "ta gueule" quand il aparaissait, après découvrir ce qu'il lui a fait subir. Mais peut-être que sa présence était justement nécéssaire pour qu'on se rende compte de tout ça; je ne sais pas.

Il y a plein de choses déroutantes dans ce film, par exemple, le contraste entre ce qu'on peut entendre de passion dans la musique et ce qu'on perçoit de dégoût du piano, de nécéssité de faire ça pour survivre. Et tout le travail, tout l'acharnement que ça a pu être d'apprendre cette technique, pour qu'elle soit réduite après coup à un "don".

Ce documentaire a une valeur d'archive. Il permet de connaître et faire perdurer l'histoire de Nina Simone, aussi importante dans le domaine de la musique que de la politique. Pourtant, une chose dans sa construction m'a posé question : pourquoi on dirait que cette image de star éloigne Nina Simone du reste des vivants ? On dirait que le rôle d'artiste, de célébrité, rend une personne exceptionnelle. Excetionnellement douée, plus forte que les autres, plus impactantes. Est-ce que c'est une question de statut ? Une question de pouvoir ? Une création culturelle ? Sa signification est-elle sociale ? Ou est-ce que c'est une stratégie du marché ?

Dans ce vocabulaire du Don, on dirait que la créativité est un truc génétique ou mystique qui "touche" des élu.e.s. Alors que tout le monde a tellement de choses à dire, à créer. Il y a le côté objectifiant de l'industrie du disque qui veut faire des vedettes, un produit. Il y a le côté mythologique qui entoure les célébrités de limbes de mystère, comme par exemple des dispositions psychiques inabituelles, allant de la folie à la prédisposition intellectuelle. Et le travail dans tout ça ?

Comme je dessine, j'entends souvent des gens dire "tu as de la chance". Mais c'est pas de la chance, c'est de l'entraînement. Quand j'ai découvert que le rap pouvait être improvisé d'une façon sublime j'ai pensé "ces personnes sont très douées, elles doivent avoir un talent pour ça". Mais au fur et à mesure que je m'entraîne et que je pratique, je me rends compte que c'est quelque chose qui s'apprend aussi bien que le dessin, que l'écriture ou le basket.

Je ne sais pas bien dire quel est l'intérêt politique de réserver le domaine créatif à une partie de la population désignée comme talentueuse, et dont la technique est naturalisée en une prédisposition. Mais je devine un intérêt économique dans le maintient d'une élite qui est l'uniqe détentrice de ce pouvoir. Les musées, les théâtres, les salles de concerts, l'école, ont le pouvoir de définir ce qui fait partie de la culture. Ce qui est bien fait, qui mérite le nom d'art, est distingué de ce qui est vulguaire ( un passe temps, une passion, un jeu...). Pour vivre de son travail créatif il faut être connu et donc reconnu en tant qu'artiste. Et quand on travaille dans n'importe quel autre domaine, la créativité n'est valorisée que quand elle rapporte de l'argent. Pourquoi l'art est coupé du quotidien ? Une chose qui donne sa valeur monétaire à l'art est sa rareté. Le marché de l'art a besoin que ses créateurs soient rares pour garder leur valeur. Mais au fond, à quoi sert l'art ?

Pour moi dans Art j'entends tout ce qui permet de s'exprimer, d'organiser le réel, de faire part de sa sensibilité, transmettre et réfléchir sur ses émotions. J'y mettrais pêle-mêle le travail d'une esthéticienne, d'une cuisinière, d'une plombière, d'un danseur, d'une musicienne, d'un nettoyeur. Seulement, tous n'avons pas le même temps à disposition pour penser sur l'art et la façon dont on voudrait le présenter.

Au Brésil, les batailles de rap donnent ce temps pour le faire par la rime. A Florianopolis on se retrouve tous les samedis pour ça. Les meufs sont organisées de façon autonome pour s'entraîner et prendre de l'assurance. D'abord on fait une ronde de free-style où tout le monde peut participer, puis la bataille commence et là c'est réservé aux meufs MC. Deux par deux, tirées au hasard, les MCs vont au centre du cercle et l'assemblée choisit un thème sur lequel elles vont rimer l'une après l'autre. On part de nos quotidiens, on partage des lectures, des informations historiques, sociologiques ou de philosophie. C'est un espace où on essaie de se construire ensemble avec respect et modestie. Parce que tout le monde a quelque chose à partager sur son vécu, sa pensée. Parce que la culture vient de la rue, et la politique se fait là. La résistance commence par la construction de réseaux. On a besoin de retrouver l'auto-estime que l'école nous a bousculé. On a besoin de réapprendre les formes de fonctionnement collectives que cette société individualiste veut effacer.

 

La vie est un chaos. La culture est un habit qu’on lui revêt pour lui donner une forme. Un bon artiste est quelqu'un qui arrive à faire des trous dans cet habit qu'est la culture pour laisser apercevoir derrière le chaos de la vie.

 

 

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